.DÉMARCHE
Je m’imprègne des lieux au travers d’installations éphémères sur mesure, jusqu’à fabriquer l’espace même pour mieux l’observer et décortiquer ce qu’il m’évoque : le refuge, la pudeur, le temps. La façade architecturale comme parade, les changements d’échelles sont pour moi des ouvertures sur les façons d’habiter, dans une tension constante entre intérieur et extérieur.
Depuis plusieurs années, les notions de seuil et d’intime apparaissent en filigrane dans mon travail. Je scrute la maison comme habitat ou symbole, en illustrations naïves ou métaphore-carapace. Mes pièces sont des tentatives d’occupation d’espace par des actions, des gestes comme la marche, qui laissent une trace, par le biais d’objets prétextes au décalage.
Ces formes, si elles évoquent urbanisme et topographie, interrogent aussi, en tant que gouine, la pertinence de ces représentations dans les marges : socle ou frein des luttes et de leurs modes de contournement pour survivre, comment s’adapter aux contraintes, les appuyer, les exalter pour mieux les dépasser ?
De l’intime au public c’est alors, de l’individu au collectif, questionner
la communauté, ses pratiques et stratagèmes en milieux hostiles et les dissonances avec lesquelles composer. C’est pourquoi je travaille parfois avec d’autres artistes, en questions-réponses, afin de mettre en regard des points de vue qui enrichissent les performances.
Armelle Rabaté
. Le travail d'Armelle Rabaté est assez immédiat dans sa relation avec le public et littéral dans le lien intime qu'il entretient avec le lieu-même de son exposition pour l'exempter d'un texte assommant. Néanmoins, ici, il sera question d'en donner une idée claire et précise et de rendre possible son appréhension par le truchement des photographies.
. Il est essentiel de voir ses propositions comme une invitation à regarder le dessin d'une autre façon. Sans avoir la prétention de le réinventer, iel·le offre aux visiteurs de ses expositions sa manière subtile et personnelle de le concevoir. Travail à considérer, donc, avec la même légèreté et enjouement avec lesquels iel·le le conçoit. Certaines de ses pièces remettent en cause les bases du dessin (Partition pour un crayon, La fourmi, Salle des couronnes, Course, Horizon mobile). Les médiums traditionnels y sont abandonnés, les outils appropriés également, et même - le plus piquant peut-être - sa définition la plus fondamentale considérant qu'il doit naître d'une collaboration entre le cerveau et la main : une fourmi en guise de cerveau, une voix en guise de main. Paradoxalement aux notions conceptuelles diluées dans ses dessins, iel·le se rattache aussi à l'artisanat. Dans La Fourmi elle s'est construit un pantographe géant en bois, dans Partition pour un crayon, un bureau. Il est présent également dans la technicité de certaines de ses pièces, dans le travail minutieux de Muzeum Platz, ou Villas, dans lequel iel·le détourne l'utilisation d'un outil de chantier très précis, un cordeau à tracer.
. iel·le se situe autant dans l'idée et le processus que dans un intérêt fort à la matérialité et l'aspect physique des objets. Finalement, ces deux notions antithétiques se retrouvent dans sa propension à toujours créer sur mesure. iel·le s’adonne à un exercice de couturière, prenant des dimensions, relevant les moindres détails, pour un parfait ajustement. iel·le taille des œuvres pour des lieux. Les quatre murs d'une salle entière sont un support (Course), un horizon une ligne de conduite (Nivellement du paysage, Arpenter l'Île). La forme devient intrinsèque à l'environnement (Façades). Dans Salle des couronnes, pièce activable simple et efficiente, toutes les portes de placards bas bordant une salle de l'ancien institut Pasteur sont ouvertes et munis de pastels blancs. Pour circuler, les visiteurs se retrouvent obligés de les fermer, traçant au sol une multitudes d'arc de cercles blancs qui s'entre-croisent. Le lieu même devient à la fois support, matériau, et il laisse l'étonnement au spectateur de découvrir les résultats de son geste.
. Installations, vidéos, performances... Aussi multiples et variées soient les disciplines auxquelles Armelle Rabaté fait appel, on retrouve toujours un fil d'Ariane qui nous guide à travers la jungle de lignes, de chemins et de tracés.
Adèle Hermier
TOPOS, quatre aperçus
texte de l'exposition
Les pièces d’Armelle Rabaté sont pensées pour les espaces dans lesquels elles viennent s’ajuster. iel·le expérimente le dessin sous toutes ses coutures - renouvelant autant les outils que les supports - comme le montre la pièce La fourmi (2014). Cartographie improvisée créée au hasard des pérégrinations d’une fourmi, elle est reproduite ici avec des changements marquant une évolution au sein de sa démarche : l’ajout d’une fausse pierre autour de la télévision et le sol désormais tapissé de papier millimétré soulignent une influence du métier de décorateur·ice de cinéma.
Attirée par l’architecture et l’urbanisme, elle emprunte ce qui y fait référence : changements d’échelle, articulation intérieur/extérieur ou encore ce qui est donné à voir et ce qui est caché. Les quatre filets de chantier de la série Ici, bientôt ont été pensés pour cette exposition. Habituellement outils de protection des ravalements, ils se parent parfois d’illustration de la future rénovation. Pour TOPOS, l’artiste y a dessiné des façades inspirées de bâtiments existants en lien avec les pièces de chaque artiste, comme s’il s’agissait d’un projet futur. La deuxième production, Nénette, est un diorama-fiction. A travers une ouverture dans la cimaise, on aperçoit un espace de vie inspiré de ceux que l’on peut observer dans les immeubles aux formes incommodes, obligeant quelques meubles à faire dos aux fenêtres.
Sur mesure et résonnant avec la scénographie, les propositions d’Armelle Rabaté rebondissent sur les œuvres existantes et dédoublent le lieu. En évoquant l’exposition-même, iel·le opère un déstabilisant jeu de miroir.
Adèle Hermier
Fonte Poppins TN par Eugénie Bidaut et Camille°Circlude - Bye bye Binary